Une marque engagée pense-t-elle sa communication différemment ?

PAR ISABELLE CHATILLON - 8 MN.

Tout d’abord, je précise que, par Communication, j’entends l’orchestration des messages sur l’ensemble des points de contacts à travers lesquels une marque prend la parole et interagit avec ses consommateurs : le mix média bien sûr, le (brand) content, l’influence & le social évidemment, mais également la distribution, le packaging ou le service client. 

Pourquoi poser cette question spécifiquement pour les marques engagées ?

Partant du postulat que tout positionnement de marque bien exécuté doit s’exprimer dans tous les détails de l’expérience consommateur, on pourrait être tenté de répondre à cette question par la négative. Que la marque soit engagée ou pas, le job des communicants & marketeux est de faire vivre la culture & la promesse de la marque à travers tous ses points de contact pour que celles-ci soient identifiables et lisibles par les consommateurs, et générer de la préférence. 

Oui, mais, dès lors qu’il s’agit de rendre visible l’engagement sociétal des marques auprès des consommateurs, la question de la crédibilité et de la sincérité du discours se pose, et cela change la donne.

76% des 25-37 ans* partagent le sentiment que les entreprises se concentrent sur leurs propres objectifs plutôt que sur ceux de la société en général et 64% pensent qu'elles n'ont aucune autre ambition que celle de faire du profit (The Deloitte Global Millennial Survey 2019).

Alors, comment les marques qui prennent la parole sur leurs engagements sociétaux peuvent-elles être crédibles ? Par quelle(s) stratégie(s) de communication et quel(s) levier(s) media cela passe-t-il ?

  1. La promesse a priori vs la preuve a posteriori

  2. Le socle de crédibilité perçue, les bases du tunnel de conviction

  3. La création publicitaire ou comment rendre le durable désirable, attractif et pertinent

  4. Une démarche relationnelle forte, levier d’engagement et de fidélisation

  5. Une stratégie média cohérente

#1 - LA PROMESSE A PRIOI vs LA PREUVE A POSTERIORI

Dès lors qu’il s’agit de communiquer sur leurs engagements, les marques optent principalement pour l’une ou l’autre de ces deux stratégies : la promesse a priori vs la preuve a posteriori (même si elles peuvent alterner les deux approches en fonction des sujets sur lesquels elles communiquent).

> La promesse a priori : une communication en amont des actions / de la mise à disposition sur le marché, déclaration d’intentions (sincère) sur la direction prise, avec pour preuve un plan d’actions (ambitieux), compréhensible par les consommateurs, timé et chiffré (tant sur les moyens que sur les objectifs), et sur lequel la marque s’engage à rendre des comptes régulièrement. La stratégie de la “promesse a priori” devrait également s’accompagner d’un discours honnête sur les pratiques à date, pour ne pas être une simple tactique de diversion.

> La preuve a posteriori : une communication axée sur les preuves concrètes des actions déjà menées (sur le core business idéalement) pour légitimer le positionnement sociétal de la marque, rendre audible son discours sur une consommation plus responsable, et fédérer une communauté d’engagés (clients, ambassadeurs et globalement parties-prenantes) à ses côtés.

Dans un contexte de grande défiance des consommateurs, c’est cette stratégie de la preuve concrète que j’aurais tendance à privilégier, pour que la marque puisse légitimement entamer le dialogue et accompagner efficacement les consommateurs dans des choix plus durables de consommation. Mais avant tout, la marque doit selon moi poser les bases de son “tunnel de conviction”.

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#2 - CONSTRUIRE “SILENCIEUSEMENT” SON SOCLE DE CREDIBILITE PERCUE

Au-delà des prérequis de cohérence minimum de l’offre et de transparence abordés dans un précédent article, la marque responsable qui souhaite communiquer sur ses engagements sociétaux doit construire au préalable son socle de crédibilité perçue. 

Si cet engagement est au coeur de la stratégie de l’entreprise, la culture de marque et l’expérience client doivent en être imprégnées, en interne comme en externe, condition sine qua non selon moi pour qu’il soit perçu comme sincère par le consommateur.

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Et cela demande du temps, de la rigueur dans la méthode comme dans l’exécution : mesurer ses externalités et le plan d’actions qui en résulte, définir le manifeste “sociétal” de la marque, écouter et établir un diagnostic objectif de la perception du public (image de l’entreprise, du secteur, légitimité, erreurs passées…), identifier les sujets potentiellement à controverse, embarquer le top management, former les équipes, briefer ses agences, mettre en cohérence les contenus marque & produits, produire un minimum de contenus spécifiques et pédagogiques, convaincre ses distributeurs de les intégrer etc, etc... 

Bref, avant de clamer haut & fort ses engagements, la marque doit selon moi s’assurer que ses bases sont solides pour en faire un réel avantage concurrentiel. Elle doit screener toutes les dimensions de l’expérience client pour s’assurer qu’aucune contradiction majeure ne viendra affaiblir le discours, que l’ensemble des touchpoints du parcours client on & off line sont en cohérence, jusque dans les détails de l’exécution, et notamment sur les étapes transactionnelles pre/post achat (rôle clef des vendeurs, sites de marque & eRetailers, sites de reviews, service client...).

La multiplicité des touchpoints, la spécificité des contenus/formats et la fragmentation des audiences imposent un travail de fond (et une grande collaboration entre les équipes) pour faire émerger et ancrer la marque sur les sujets qu’elle aura choisi d’investir, et ainsi être crédible lors des prises de parole media.

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#3 - RENDRE LA DEMARCHE DESIRABLE, ATTRACTIVE & PERTINENTE

Une fois ce socle de crédibilité installé (à chaque marque d’en définir le seuil selon ses enjeux), la marque peut communiquer massivement. Mais, pour pouvoir engager, elle doit je pense trouver les moyens de susciter l’envie, de créer une émotion, de surprendre ou d’inspirer, bref de “hooker” l’intérêt d’un consommateur de plus en plus submergé par des messages green & clean. Il s’agit donc de créativité et de pertinence de l’insight au service du passage à l’acte des consommateurs ou de leur prise de conscience.

Si les marques doivent surprendre pour susciter l’intérêt, la préférence et surtout la fidélité du consommateur n’adviendront selon moi que si celles-ci accompagnent leurs communications média par un contenu qui apporte la preuve concrète (et vérifiable si possible) de leur engagement, par une démarche pédagogique qui délivre des clés de compréhension et des solutions (offre, service, programme…) accessibles. Sans cela, pas de crédibilité : le consommateur ne croit plus sur parole.

Première campagne Typology : affichage Métro parisien & Instagram (entre autre)

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Lancement de L’essentiel de Guerlain intégrant la plateforme de traçabilité BeeRespect de la marque.

Lancement de L’essentiel de Guerlain intégrant la plateforme de traçabilité BeeRespect de la marque.

En terme de stratégie média, il est donc impératif de jouer la complémentarité des canaux et des formats pour pouvoir développer le message et faire “progresser le consommateur dans le tunnel de conviction” de la marque. Les enjeux liés au Développement durable sont complexes et souvent techniques. La publicité, ses formats courts et sa sacro-sainte USP montrent je pense leurs limites pour répondre au besoin des marques d’expliquer la complexité de leurs choix en terme de durabilité. Le digital lui permet de raconter des histoires plus longues, de délivrer une information non simpliste, d’entrer en conversation avec les consommateurs-citoyens, en ligne comme dans la “vraie vie”, voire de co-créer avec eux.

#4 - ENGAGER PAR UNE DEMARCHE RELATIONNELLE FORTE

La marque qui sort de sa posture “top-down”, qui sait écouter & créer un véritable dialogue avec ses clients, saura mieux convaincre de la sincérité de son engagement. Elle pourra ainsi plus facilement entretenir une conversation autour de ses thèmes sociétaux et fédérer sa communauté, pour in fine “embarquer” les consommateurs dans la transformation qu’elle veut porter. Comme je le développais dans un article précédent, cette posture relationnelle est pour moi le reflet de l’engagement sociétal de la marque, de sa vision élargie de l’intérêt collectif et du rôle qu’elle a à y jouer.

Le succès du crowdfunding en est une bonne illustration qui, au-delà du financement, apporte aux jeunes marques un outil efficace pour développer leur communauté en les associant au projet.

Storie Instagram Sézane // Groupe Facebook Phenix // Post linkedin Loom

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La proximité relationnelle de la marque lui permet également d’incarner son discours, de (re)mettre l’humain au centre de son action, action avant tout portée par les femmes et les hommes de l’entreprise qu’elle représente (dirigeants, salariés, créateurs…), de ses partenaires (fournisseurs, égéries/ambassadeurs, ) et de ses clients. Un des enjeux très fort des marques engagées (et encore plus pour celles en cours de transformation) est celui de la confiance. Valorisé, leur écosystème externe d’ambassadeurs permet de crédibiliser leur discours ; ce sont des tiers de confiance qui témoigneront de la réalité de l’investissement concret de la marque. Les choix de collaboration et d’influenceurs doivent être ainsi fait non plus seulement en terme de notoriété/visibilité, mais en terme de crédibilité, d'affinité de "mission" et de potentiel d’engagement.

Collection capsule Luz 2018 x Alexandra Cousteau // Lancement de la converse Chuck Taylor (recycled PET) avec La Redoute // iPhone reconditionnée BackMarket x WWF // Partenariat Cyrillus x La chemise de Papa (upcycling) // Partenariat Kiehls x Terra…

Collection capsule Luz 2018 x Alexandra Cousteau // Lancement de la converse Chuck Taylor (recycled PET) avec La Redoute // iPhone reconditionnée BackMarket x WWF // Partenariat Cyrillus x La chemise de Papa (upcycling) // Partenariat Kiehls x Terracycle (Recyclage)

#5 - UNE STRATEGIE MEDIA COHERENTE

Le stratégie & le mix média doivent refléter selon moi cette approche de “tunnel de conviction”, et le levier du paid media utilisé au bon moment pour que la marque ne soit pas perçue comme opportuniste ou trop “verticale”. Idéalement, il est préférable que l’activation de la communication respecte la séquence Owned > Earned > Paid (ce qui créera par ailleurs une caisse de résonance efficace pour les communications Paid). En revanche, une tactique Paid en plusieurs séquences peut être intéressante pour un “time to market” plus rapide : capitalisation sur les temps forts des lancements produits, puis campagne de marque dédiée aux engagements de la marque. 

Plus globalement, il me semble que les stratégies média des marques engagées devraient être plus cohérentes avec l'approche du “moins mais mieux” pour gagner en crédibilité : une plus grande part de slow content (moins de contenus produits mais plus qualitatifs, en opposition au “snacking content”, formats très courts “consommables” en quelques secondes), une stratégie sociale de micro-influence (moins de vues pour plus d’engagements de la part de communautés réellement actives, et souvent plus locales), un capping d’exposition & de retargeting limité, un push CRM moins intrusif, et une personnalisation & géolocalisation au service de la pertinence de l’argument ou de l’incitation à l’action.

Application mobile de La Chaîne des conso & des Citoyens lancée par C’est qui le Patron?! // Campagne Facebook Day by day

Application mobile de La Chaîne des conso & des Citoyens lancée par C’est qui le Patron?! // Campagne Facebook Day by day

Pour conclure, je dirais que les marques engagées ont un enjeu de crédibilité et de confiance supplémentaire si elles veulent faire de leur engagement un véritable avantage concurrentiel. Entre relationnel, séduction & information, les marques doivent trouver le bon équilibre, et surtout accepter que cette crédibilité se construit dans le temps long, souvent à rebours du temps court marketing. L’enjeu est d’incarner une vision, avec consistance, jusque dans l'exécution de la communication.

* The Deloitte Global Millennial Survey 2019 report is based on the views of 13,416 millennials questioned across 42 countries and territories, and 3,009 Gen Zs from 10 countries. Millennials included in the study were born between January 1983 and December 1994.