Conversation MARQUE ENGAGEE !
avec LE CO-fondateur de Day by Day
Didier Onraita-Bruneau a co-créé le premier réseau d’épiceries vrac en France. day by day, c’est 55 magasins, 30M€ de CA* et 7M€ levés en 2018.
Quelle serait ta définition d’une marque Et comment tu définirais la marque Day by Day ?
Une marque, c’est pour moi une invitation unique qu’on fait à des populations de partager un mode de vie, une vision, mais aussi des choix et des actions associés à ce mode de vie.
Si on applique cette définition, day by day, c’est une marque qui propose à chacun de reprendre en main sa consommation quotidienne, mais d’une manière un peu plus personnelle, dans une perspective de responsabilité environnementale, sociale et économique. C’est donc de se dire que, quand je consomme à travers day by day au quotidien, je le fais avec conscience de mon présent et de mon avenir, et de celui des gens qui partagent mon existence.
Tu définis clairement Day by Day comme une marque à mission. Par quel terme tu qualifierais ta marque : responsable, engagée, conscious, éthique, durable… ?
Si on reprend l’invitation qu’on fait à chacun d’envisager sa consommation quotidienne en incluant sa propre responsabilité, évidemment qu’on pourrait qualifier day by day de marque responsable.
Maintenant, nous évitons d’employer tous ces termes. Nous ne nous qualifions pas nous même, car nous préférons rester dans le champ de l’invitation. Et puis, je préfère éviter ces notions qui me semblent faire appel à une démarche morale, voire moralisatrice, et donc toujours un peu péremptoire. Les choses ne sont pas toujours aussi simples que ça.
Est-ce que tu peux nous en dire plus sur l’histoire de Day by Day et les raisons pour lesquelles tu l’as fondé ?
Ca vient d’une culture et d’un champ de compétences professionnelles. Mon champ de compétences professionnelles est celui de la grande consommation, avec un parcours assez classique. Et ma culture, c’est celui d’un fils d’une ouvrière urbaine et d’un ancien petit paysan. Donc, avec une forte conscience de ce que peut représenter le fait de gâcher.
Le gâchis a beaucoup de conséquences graves. D’abord, le prélèvement de ressources. Dans un monde fini, prélever des ressources de manière infinie, c’est techniquement pas possible. Il serait d’ailleurs temps de s’en rendre compte ! Mais aussi parce que c’est mettre à la poubelle du labeur, de la sueur humaine, du temps de travail de quelqu’un qui s’est levé le matin, peut-être tôt, peut-être qui a travaillé la nuit.
Et puis, plus on va jeter, plus ça va déprécier la valeur du produit. A partir des années 50, on a voulu consommer plus, pour atteindre un certain confort. Mais consommer plus avec une somme disponible qui ne bouge pas, voire à un moment qui finit par régresser, a des conséquences. On le voit par exemple avec le budget dédié à l’alimentation qui a été pratiquement divisé par deux en 30 ans, alors que pour autant, nous n’avons pas arrêté de manger ! On n’a même commencé à manger des plats préparés par d’autres, et qui donc auraient dû être plus chers, mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Ca veut dire qu’on a cherché à acheter de moins en moins cher les choses. On a supprimé les intermédiaires, supprimé de la main d’oeuvre en industrialisant. Et quand il a fallu encore baisser les prix, la seule solution a été de moins payer les gens qui fabriquaient et donc de délocaliser. Et ça, ça produit de l’esclavage, c’est inévitable.
Donc moi, j’avais cette conscience sociale très forte, doublée de cette conscience écologique du gaspillage des ressources, et je cherchais des solutions. Et en 2003, je tombe sur un système que je ne connaissais pas dans un Auchan, qui sont ces trémies pour servir le vrac. J’ai compris que c’était exactement ce qu’il fallait : c’était propre, safe, et maîtrisable, mais dans le même temps, j’ai aussi compris que ce n’était pas le bon modèle économique applicable à cet endroit-là. Le soir même, le premier day by day était dessiné et j’ai soûlé tout le monde avec ça. Tous mes potes m’ont dit que j’allais dans le mur. Ils avaient raison : c’était trop tôt. Et j’ai enterré l’idée jusqu’à fin 2011. C’est David Sutrat, mon associé, qui au cours d’un déjeuner a réveillé le projet. Et en 2013, on se lançait.
On revient donc au sujet de la mission DE MARQUE. Peux-tu expliquer comment votre mission structure vos actions au quotidient ?
A partir du moment où tu t’es assigné une mission, tout ce que tu fais doit concourir à alimenter cette mission, et tu ne dois jamais t’en détacher. Nous, notre mission, c’est de réduire les impacts, tous les impacts dont on a parlé avant. On va donc travailler nos produits, nos structures, notre logistique, pour que ces impacts soient réduits en permanence. On a d’ailleurs une salle marketing dédiée aux produits dans laquelle on affiche un diagramme des impacts. La politique produit va donc être menée sur le comment je réduis mes impacts sanitaires, environnementaux, et sociaux. On analyse donc systématiquement tous nos produits à l’aune de la réduction de ces impacts (production, ingrédients, recettes, conditionnement, création d’emplois…).
Là, tu évoques votre démarche d’entreprise. Qu’en est-il de votre approche en terme de communication ?
Si une marque est une invitation à un mode de vie, il faut bien expliquer ce qu’est le mode de vie que nous proposons et pourquoi. Donc la grande majorité de nos actions de communication sont centrées sur la pédagogie, sur les causes et les conséquences du mode de consommation actuel, et on va essayer d’élever le niveau de conscience. Ca peut paraître un peu gris et déprimant de dire qu’il faut élever les niveaux de conscience, mais nous, on essaye de rendre ça ludique, et d’expliquer qu’on peut faire beaucoup mieux, et que ce beaucoup mieux est vachement bien ! Donc, toutes nos actions de communication doivent permettre aux gens de comprendre et d’accéder à la proposition, d’expliquer le bien-fondé de notre démarche, et de montrer qu’il y a des solutions concrètes. Et cela, jamais orchestré dans une démarche de “On a un imaginaire collectif formidable. Regardez comme la vie est merveilleuse”. On est plutôt sur des fondamentaux de l’ordre du “J’apprends. Je comprends. Et je mets en oeuvre.”
Comment mettez vous en œuvre opérationnellement cette démarche pédagogique ? Et peux-tu nous parler spécifiquement du rôle des vendeurs ?
Oui, il est fondamental. Nous ne sommes pas des approvisionneurs. Nous sommes des commerçants. Notre boulot est d’être le lien le plus utile, le plus clair et le plus cohérent possible entre les gens qui produisent et ceux qui vont utiliser les produits. En cela, le commerçant est le vecteur de communication principal. Il doit porter beaucoup plus que ce que peut porter un simple packaging. Il doit aller plus loin, être le lien humain entre des humains, pour supporter des produits, pour supporter des usages. C’est lui qui va amener toute l’information utile. S’il ne prend pas le temps, il ne sert à rien : c’est un simple approvisionneur.
Ce discours, seuls les clients qui passent la porte d’un Day by Day en bénéficient. Quelle démarche mettez vous en place pour recruter de nouveaux clients ?
On s’est beaucoup appuyé sur les réseaux sociaux, Facebook notamment car on peut y développer une information plus riche que sur Instagram. On a un compte Facebook national qui communique essentiellement sur la vie de l’enseigne et la valorisation de nos fournisseurs. Et on sponsorise une partie des postes. En parallèle, les responsables de magasin travaillent leur propre compte Facebook pour s’insérer dans leur communauté locale et essayer de se faire connaître sur un territoire plus petit. Puisqu’ils proposent un mode de vie, ils communiquent au-delà de la vie de leur magasin, sur ce qui se passe autour, et montrent comment les gens contribuent à créer ce mode de vie, y compris les clients. Même approche sur Instagram où on a privilégié les comptes locaux (même si le compte national est en cours de création).
Et cette approche est logique : comme on s’inscrit dans le quotidien, on est dans une ultra-proximité. On a installé nos magasins au coeur de la vie des gens. Et ce n’est pas qu’une proximité géographique. C’est une proximité humaine avant tout, une proximité relationnelle.
Est-ce tu penses qu'une marque engagée doit communiquer différemment ?
Ca dépend si on parle des outils ou des contenus. Côté outils, je pense qu’on doit utiliser ceux qui permettent de contacter le plus grand nombre de personnes avec la plus grande efficience, mais sans générer de restriction sur les outils de travail et les salaires. Nous privilégions donc les réseaux sociaux, les relations presse et la pédagogie directe (présentations dans les entreprises, les écoles, les réunion associatives,…).
Côté contenus, je pense qu’une marque responsable doit d’abord travailler à la bonne compréhension par les publics des enjeux qu’elle adresse et des réponses qu’elle propose. Si, évidemment, elle doit susciter l’émotion pour être perceptible, elle ne doit pas faire des promesses de rêve, des promesses qu’elle ne pourra pas tenir, mais élaborer des messages en rapport direct soit avec les enjeux, soit avec les applications. C’est une certaine publicité dont on se parle. En créant des imaginaires, cette publicité déplace les individus dans un champ en dehors de la réalité, et essaye de les faire projeter leur propre image dans une réalité qui n’est pas la leur. Il n’y a aucune responsabilité dans ce cadre-là. Après, il y a des secteurs dont les produits ne sont pas nécessaires à la vie quotidienne, et ceux-là doivent trouver leur place autrement.
Est-ce qu’il faut forcément opposer Désirabilité et Responsabilité ? Et est-ce qu’une communication créatrive & ludique n’est pas aussi un levier pour embarquer Les gens ? On est quand même souvent à la limite de la culpabilisation, non ?
Entièrement d’accord. On doit pouvoir s’amuser et rire de cette nouvelle manière de consommer. Mais, c’est une question de dosage. Le problème, c’est la sur-promesse.
Et c’est pour toi ce qui explique la situation actuelle de défiance profonde des consommateurs envers les marques, notamment les marques historiques ?
Oui. A partir des années 80/90, les marques ont dû sur-vitaminer leur promesse et sont allées au-delà de ce qu’elles pouvaient tenir. Quand on promet aux consommateurs le meilleur steak du monde et qu’ils se rendent compte après qu’il est nourri aux hormones, qu’on ne connaît pas forcément le pays dont il provient, voire qu’il a été trempé dans de l’acide, on crée les conditions de la défiance.
Aujourd’hui, de plus en plus de marques agissent vraiment et elles le font savoir, c’est normal. Mais, comme il y a eu beaucoup de promesses non tenues car intenables, c’est difficilement entendable pour toute une partie de la population. La communication des impacts positifs des marques n’est pas entendable pour des gens dont la préoccupation est de finir la semaine. D’ailleurs, on voit bien qu’une majorité de la population est centrée sur un discours de prix. Cette partie de la population a été habituée et attend des marques qu’elles leur permettent d’acheter plus et mieux. Elle n’est pas prête à entendre les actions positives de ces marques.
Il y a le sujet de l’image de marque. Et il y a celui de leur mission quand elles s’en sont dotées d’une. Comment dans ce contexte, une marque peut-elle efficacement embarquer ses clients dans un changement de mode de consommation ?
Tout changement de paradigme repose sur 3 champs d’action à orchestrer quasi-simultanément :
> L’information : modifier sa manière d’agir suppose d’abord d’être conscient des nécessités, du bien-fondé de ce changement. Aussi l’éveil des conscience est indispensable : informer, éduquer, démontrer à tous, partout, par tous les moyens et avec les mots et images adaptés à chacun. De manière générale, l’information est d’abord l’apanage de l’Institution et de ses dérivés. Elle doit l’objectiver, l’activer, l’organiser et la faciliter.
> L’incitation : parce qu’une conscience éveillée ne suffit pas toujours à dépasser les contraintes ressenties et l’inconnu de l’après, il est nécessaire d’inverser la perception de contraintes en encourageant les pratiques positives et en décourageant les pratiques négatives. Cela passe, en général par la fiscalité, et c’est encore le rôle de l’Institution.
> La solution : l’éveil de la conscience additionné à la pression fiscale peuvent le plus souvent être perçues comme une double injonction contradictoire et conduire à l’immobilisme, voire à l’opposition, et au pire, à la rébellion. Il est donc nécessaire de produire, et d’exposer largement, des solutions permettant aux populations d’adopter les bonnes pratiques sans perception de contrainte nouvelle (temps / argent). La création de solutions est principalement le rôle des entreprises.
Si les solutions proposées par les marques sont trop partielles par rapport à la problématique établie, elles demandent alors à leurs clients un ensemble d’efforts additionnels qui rajoutera à la perception de contrainte et décrédibilisera leur proposition. Elles doivent donc totalement corréler leur interpellation, leur promesse et leur réponse marchande. Participer de l’information, et pas uniquement de la solution, leur offre l’opportunité de maîtriser cette corrélation.
Selon toi, c’est la cohérence entre l’offre & le message qui permet aux marques d’être crédibles et la proposition de solutions pertinentes qui permet de lever les freins au changement.
Sur ce 2ème point, la tâche n’est pas simple pour Day by Day. On va être honnête, faire ses courses en vrac, C'est quand même plus contraignant. Comment travaillez-vous à lever cette barrière ?
En réalité, quelles sont les contraintes ressenties par les clients et prospects, sachant qu’elles s’articulent toujours autour du temps et de l’argent ?
La fiabilité : est-ce que ce que je vais acheter rendra le service attendu (bon, sain, identifiable, au bon prix) ? Nous avons dès le départ levé cette contrainte en garantissant l’hygiène et en le démontrant, en exposant les logos & noms des fournisseurs et des producteurs, et en étant capable d’en parler. Le produit n’étant pas anonyme mais le fruit du travail, présumé sérieux, d’une entité identifiable, idéalement française, il est présumé « qualitatif et sécure ». Et enfin en exposant les compositions complètes et valeurs nutritionnelles de chaque produit. Le frein du risque économique est ainsi en grande partie levé.
Et la praticité : est-ce que je dois vraiment partir avec mes bocaux vides le matin, me charger dans le métro, transférer des paquets dans des bocaux en rentrant chez moi… ? Nous avons partiellement solutionné le problème en permettant l’usage de contenants personnels, en proposant des bocaux vides mis gratuitement à disposition. Afin de ne pas pervertir le modèle économique, nous demandons en amont de l’ouverture à nos clients ou voisins de nous déposer leurs bocaux vides traditionnellement destinés au recyclage. En les affectant au réemploi, ils participent à la simplification compétitive du vrac ET contribuent à améliorer l’impact environnemental. On utilise d’ailleurs Facebook 6 à 8 semaines avant l’ouverture d’un magasin. On sponsorise un peu et après ça se diffuse tout seul.
Et enfin, nous avons implanté nos commerces sur le parcours d’achat et de vie des clients, au milieu des commerces traditionnels.
Pour finir, quelles sont les prochains challenges pour Day by Day ?
Pour nous, l’enjeu majeur est d’accélérer la transition générale de la consommation vers l’alternative vrac, le plus largement et le plus vite possible. Cela suppose quelques grandes lignes d’action.
Tout d’abord, rendre le vrac plus visible : multiplier les actions de promotion des courses en vrac et démultiplier les points de contact marchands. Le rendre plus accessible pour toutes les circonstances de la consommation quotidienne. Cela passe aussi par des évolutions règlementaires permettant de généraliser le vrac libre-service à tous les produits du quotidien, ce que nous faisons via les propositions de Réseau Vrac, l’association de la filière que j’ai co-fondée.
Il y a un travail de réassurance à faire également, notamment en engageant les grandes marques populaires dans la proposition d’offres en vrac, ce que nous faisons par exemple avec la marque Faire bien (les Prés Rient Bio) du groupe Danone.
Et enfin, rendre le vrac toujours plus durable. Mesurer et communiquer la réduction de gaspillage et de déchets permise par l’alternative vrac, et engager une démarche de progrès continu. Industrialiser les processus amont pour permettre une généralisation du modèle dans des conditions économiquement, écologiquement et socialement viables. Et faire remonter une part significative des bénéfices économiques issus de la réduction du gaspillage et des déchets vers la production pour permettre une amélioration économiquement viable des impacts écologiques et sociaux.
Un dernier mot pour conclure ?
Passez tous au vrac !
* 30M€ de CA consolidé sous enseigne prévisionnel 2019.